1.Tenir un journal Ce matin, dès mon réveil, j’ai été frappé d’une évidence : il était temps de tenir mon journal. Alors qu’une telle idée ne m’avait jamais effleuré, il était clair que c’était ce que je devais faire. Je ne le devais à personne — et surtout pas à la postérité —, je ne le devais qu’à moi-même, mais c’était le moins que je devais faire. Je ne sais pas encore la forme que cela va prendre, je ne sais pas encore de quoi je vais parler (actualité, sentiments, philosophie, poésie…) mais je sais que ce journal va exister d'une façon ou d'une autre même s'il n'est qu'une page perdue dans l'immensité des pages Internet que personne ne lit et ne lira jamais. N'est-ce pas, après tout, le sort de la plupart des journaux intimes ?
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Affichage des articles du septembre, 2023
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2.Le monde et moi J’ai toujours essayé de me tenir à l’écart du monde. Pourtant, comme le savent probablement mes lecteurs — du moins s’ils ont aussi parcouru, même distraitement le récit de Marc Hodges intitulé Général Proust — j’ai échoué. D’ailleurs est-il possible, à moins de choisir de vivre en ermite, de faire autrement ? Disons que je me suis tenu le plus possible à l’écart du monde passant l’essentiel de ma vie à m’efforcer à conforter mon espace personnel. Le bien vivre, voilà ce qui m’a toujours motivé. Est-ce ma profession de médecin qui m’a très tôt convaincu que la vie était trop aléatoire, chaotique, incertaine, fragile pour être risquée dans des entreprises qui, quel qu’en soit le résultat, nous dépassent ? Comment savoir, les trajectoires des êtres sont sans cesse déviées par de multiples petits incidents apparemment sans importance et qui, pourtant, à leur façon, contribuent tous à les conduire vers une fin inévitable. Alors que j’écris ceci, deux au...
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3.Souvenir, mémoire, archives, contrôle J’ouvre le journal du jour : deux articles inquiétants. Le premier m’apprend que deux millions sept cent mille caméras surveillent les britanniques en permanence et qu’un projet, baptisé Spectrum — l’ambiguïté de ce terme en français est révélatrice — surveille tous les déplacements de toutes les voitures analysés à partir de leurs plaques d’immatriculation. N’est-ce pas merveilleux ! Le second est un projet du Ministère français de l’emploi (nous sommes bien dans la même époque et les mêmes fantasmes) permettant d’utiliser tous les fichiers disponibles — et surtout de les croiser }— pour contrôler les chômeurs tricheurs dont on sait, par ailleurs qu’ils sont une infime minorité. Nous avons tous, aujourd’hui, un clone virtuel qui se construit de l’enregistrement de la multitude des traces que, en ce monde totalitaire du numérique, nous laissons sans cesse autour de nous. Je parlais hier — ou avant hier, la mémoir...
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4.Des journaux Je lis souvent des journaux… Il y a deux ou trois jours, Libé a publié un de ses cahiers spéciaux imposés aux lecteurs sommés de payer l’augmentation déguisée ou de se priver de leur quotidien (passons… les mœurs des entreprises m’échappent de plus en plus…), le supplément des « écrivains commentant l’actualité ». Ces gens, quels qu’ils soient, quels que soient leurs titres de gloire (la plupart d’entre eux me sont totalement inconnus et je me demande bien par quels réseaux souterrains d’amitiés ils sont choisis…) ont toujours quelque chose à dire, c’est leur métier, quelque chose sur tout alors qu’aucun de nous ne maîtrise l’interprétation de sa propre existence. Mon passé de médecin, mon expérience de la vie sociale, le fait que pour des raisons diverses j’ai été amené à me frotter à la politique, y compris dans des circonstances difficiles, devraient m’accorder une parole en ces domaines — il est vrai cependant que personne ne m’a jamais rien demandé...
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5.Le passé Dans … je lis ce commentaire du 28 décembre 2005 à propos du texte de Marc Hodges intitulé « mémoires indécises » de quelqu’un qui signe Jean D’Artois (un beau nom, peut-être un pseudonyme ?) : « Le passé revient par morceaux, nous sommes tous de lopins» (Montaigne). Le passé se donne en ruines, en décombres inconstructibles ; une mise en place logique pour donner ordre à ce nombre incalculable d’éléments qui se présentent au moment de la remémoration est une erreur. Et vous avez tout à fait raison, les livres bien agencés, où le souvenir impeccable d’une pensée conçue dans un autrefois lointain, sonnent faux. Certains ont encore une conception mécaniste de la mémoire (conçue comme organe de rétention du savoir, puis de restitution de celui-ci). Or il faut renverser ce que Kant appelle la «mémorisation ingénieuse», c’est à dire la «méthode pour imprimer dans la mémoire certaines représentations». Or rien ne s’imprime tel quel, nous déformons ap...
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6.Activité Je m’étais promis d’écrire, tous les jours, une nouvelle page. Il paraît que c’est ce que doit faire tout écrivain. Je n’y arrive pas : le travail, la foule douloureuse — ou moins douloureuse, ou se croyant souffrante, ou qui veut que quelqu’un s’occupe d’elle… — qui, de l’aube au crépuscule, emplit mon cabinet, les petits enfants, ma femme, le peu de temps que je dois consacrer au sport, les tracasseries administratives diverses… Bien que je le souhaite réellement, que je le désire, je n’y arrive pas. Comme beaucoup d’autres je me dis que dans quelques années, lorsque je serai à la retraite (dois-je dire « enfin » ou « malheureusement » ?), je pourrai me consacrer sérieusement à l’écriture… Mais je sais que la vie ne fait pas de cadeaux et qu’aucun moment n’est égal à un autre : ce que je ne fais pas aujourd’hui, ce que je ne vis pas, ne sera ni fait ni vécu demain. Je le sais mais ne m’y résigne pas. J’éprouve ainsi comme une déc...
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7.La mort « La mort arrive pour rien, environnée de silence, comme une tacite, ultime, combinaison de penser » rappelle Carlo Emilio Gadda dans La cognizione del dolore . Je lisais ce matin cette phrase qui m’a plongée dans une profonde mélancolie : « la mort arrive pour rien » et je n’ai pu m’empêcher de penser à tous ceux, qui autour de moi, ont disparu dans ce silence : parents, amis, connaissances dont l’absence crée peu à peu autour de moi une zone de vide où je me sens lentement comme enkysté. Le journal est plein de bruits et de fureur : les hommes s’entretuent avec de plus en plus d’ardeur et d’efficacité technologique — il est vrai aussi que des foules d’exécutant et de simples couteaux obtiennent des résultats moins « propres » mais tout aussi remarquables — comme si, en la donnant eux-mêmes en masse, les hommes voulaient occulter cette réalité de la mort : la donnant eux-mêmes, il leur semble avoir pouvoir sur elle… ...
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8.Les mots Les mots me touchent, les mots m’importent, les mots me nourrissent… Mais comment se fait-il que les mots me touchent et que cependant j’ai avec eux de telles difficultés ? Je ne sais comment penser sans mots… mais je ne sais pas plus comment penser avec eux. Chacun d’entre eux, avec sa sphère d’influence, m’entraîne en effet dans son domaine propre et déplace ce que je sens d’original et de moi propre dans ma pensée. Quand une idée, se propose à moi… quelque chose d’indéfinissable comme un « sentiment d’idée », cette impression ténue et pourtant obsédante que je pense quelque chose d’encore impensé, que je suis « au bord » de quelque chose qui devrait m’entraîner dans une région de l’esprit, de la mémoire, de l’invention où je ne suis jamais allé, des mots se proposent. Dès lors qu’ils se proposent, la pensée est prise, sans retour, les mots l’orientent dans des directions desquelles il ne m’est plus possible de dévier. Il me semble alors que je reto...
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9.Petits rituels Ma vie repose en grande partie sur de petits rituels, des séquences de gestes que je parcours sans en rien changer de façon à ne pas être perturbé dans mon quotidien, de ne pas avoir à remettre en cause ce sur quoi mon existence tient son équilibre. Ces rituels me sont indispensables et toute perturbation dans l’un d’entre eux me déstabilise de façon plus ou moins durable. Je n’en donnerai ici que quelques exemples en détaillant les étpaes qui les constituent : le matin, je m’éveille — généralement très tôt et dès que j’ai l’œil ouvert je suis totalement lucide — 1.je prends mes lunettes sur ma table de nuit 2.je prends ma montre sur ma table de nuit 3.je prends le livre que j’ai posé par terre 4.je cherche à tâtons la lampe de poche posée à côté du livre 5.j’éclaire mon réveil pour vérifier l’heure (généralement j’en ai une bonne intuition) 6.je me lève Si je me trompe dans l’ordre de l’un quelconque de ces micro-événements, j’ai aussitôt l’impression qu...
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10.Introspection Je suis porté à l’introspection : j’aime comprendre comment je vis ce que je vis et ne rien me cacher de moi-même. Si je le pouvais, je m’allongerais sans cesse sur mon propre divan pour m’écouter parler de ce qui m’a fait ce que je suis. Non que je me considère comme l’être le plus intéressant de la terre, non que je pense découvrir en moi des secrets ignobles profondément enfouis, mais parce que j’éprouve un besoin absolu de savoir et ne supporte que très mal de subir ma vie plutôt que de la diriger. Fantasme de puissance ? Je ne crois pas car je n’ai jamais cherché ni les honneurs ni le pouvoir et si j’ai été mêlé à quelques événements historiques, c’est malgré moi parce que, par ma naissance dans une famille d’artistes, j’ai dû fréquenter des milieux de pouvoir et, parce que, mon amour des femmes m’a conduit à nager en des eaux où je n’aurais jamais dû me trouver. Être l’amant d’Oriane, la femme du Général Proust, m’a ainsi mis dans des situations historiq...
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11.Les mensonges des mots Quel mot employer ? Quel mot précis peut traduire ce que je ressens en ce moment, par exemple la douleur qui perturbe mon coude gauche ? Mon médecin parle de « tendinite » — lorsque j’insiste d’épicondylite ou, selon les cas, d’épitrochléite — et lorsque je dis cela à un de mes proches, je me rends bien compte à leurs attitude que ce terme médical qui se veut précis est d’une imprécision absolue. Certains en effet se comportent alors avec moi comme si j’étais infirme : « laisse-moi porter ton sac… tu devrais arrêter de taper à la machine… ne va pas à la piscine pendant quelques temps… ». D’autres au contraire prennent cette annonce avec une grande légèreté : « C’est trois fois rien, j’en ai eu une à la jambe droite… il faut attendre, ça passera tout seul… j’ai toujours une tendinite quelque part, c’est rien, absolument rien… »… Je n’ignore pas, bien entendu, que toute douleur est psychologique, donc in...
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12.Les livres Ce matin — mais pour quelle raison ?…— je regardais ma bibliothèque… Plusieurs centaines de livres de toutes sortes : une bonne moitié de romans, un bon tiers de poésie et le reste… essais, ouvrages techniques sur des sujets variés de la philosophie à l’informatique en passant par les sciences occultes… Quel fatras !… Et dire que j’ai lu tout ça. J’ai lu tous ces ouvrages, certains même plusieurs fois et, pour la plupart, je n’en ai plus aucun souvenir au point que si je prends en main au hasard l’un ou l’autre, je ne sais plus la plupart du temps, si je l’ai déjà lu. Heureusement j’ai la manie des notes, seul repère fiable : tous mes ouvrages sont annotés, de la façon la plus variée. Je ne fais pas comme Oriane qui tient à jour un certain nombre de carnets dans lesquels elle copie les passages qu’elle trouve remarquable et les annote suivant un classement que je n’ai jamais bien compris et qui lui est particulier. Non, je ne fais pas ça… J’écris s...
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13.L’actualité Lorsque j’ai décidé de tenir ce journal, je m’étais promis de tenir compte de l’actualité, mais l’actualité n’est pas intéressante parce que la réalité n’a pas comme mission d’être intéressante. La réalité est la réalité est la réalité est… Je parodie bien sûr Gertrude Stein mais sa formule a le double avantage d’être forte et transposable à la majorité du vocabulaire d’une langue, ce qui en fait une des plus génératives que je connaisse… L’actualité est déprimante. Cette affirmation n’est pas originale et c’est cette absence d’originalité qui en fait la force : nous sommes si nombreux à l’affirmer que cette affirmation ne peut être que la traduction d’un sentiment général. Pourquoi des manifestations étudiantes sont-elles déprimantes ? Parce que se répétant à intervalles proches et réguliers, avec les mêmes conséquences, leur nécessité ne fait que traduire que la société où nous vivons est incapable de se construire dans un dialogue permanent, seule condition p...
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14.Le corps Révélation du corps… Jusqu’à cette année je n’avais pas de corps. Ou plutôt mon corps, me semble-t-il, n’existait qu’en fonction d’une autre entité organisatrice et maîtresse, ma volonté — ou ma conscience… Bien sûr le corps se manifestait à l’occasion, mais ses manifestations étaient externes à mon être : je me cassais un poignet, je me coupais, je faisais une chute de vélo, j’avais froid, chaud, soif… mon corps dépendait du monde, ou plutôt, d’une certaine façon, existait contre le monde et cette opposition n’était qu’une preuve de sa soumission à une volonté qui abdiquait un temps ou commettait des maladresses. Tout était en effet sous contrôle, même si ce contrôle parfois s’oubliait. J’étais ainsi persuadé qu’il en était de même pour chacun, que tout ce qui était du corps pouvait se contrôler ; ainsi je n’étais pas loin de penser que toute maladie n’était qu’une abdication, une lâcheté devant l’analyse et le combat nécessaires. Je n’ignorais pas qu’existai...
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16.La photographie Bien qu’assez mauvais photographe, je suis passionné par la photographie et j’ai très souvent l’envie d’en faire alors que je n’ai pas d’appareil photo. Heureusement, depuis quelques temps les téléphones portables — j’ai toujours le mien sur moi — permettent de compenser cette difficulté. Malheureusement, les photos qu’ils permettent sont de très mauvaise qualité. Mais, après tout !… Ce désir de photographie provient de celui de la saisie impulsive du monde. Je me promène, je ne pense à rien de particulier et soudain, pour une raison qui m’échappe totalement, un fragment de réel me paraît soit d’une beauté stupéfiante, soit si intrigant qu’il me serait indispensable de le figer. Lutter contre le temps et les carences de la mémoire : ce lieu précis, en ce moment précis, demande à être conservé et, plus jamais ne sera reproductible. Ce matin, je me promenais ainsi dans les rues de mon petit village et, soudain, un moment de grâce incroyable, un accord de ...
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17.Ganymède En même temps que les poèmes de Balpe que je ne connaissais pas je viens de découvrir sa série des Cent un poèmes du poète aveugle entièrement illustré par des représentations, de toutes époques, du mythe de Ganymède. On sait que Ganymède est ce prince-berger, fils du roi de Troie Laomédon dont Jupiter (Zeus si vous préférez) tomba amoureux lorsqu’il le vit garder son troupeau dans la campagne. Comme Zeus (dieu suprême) ne met jamais de frein à ses désirs impérieux, il prit la forme d’un aigle et l’emporta dans les cieux pour en faire son échanson. Bien entendu, comme dans une grande part de la mythologie orientale (les ghazals ouzbeks sont clairs sur ce point) l’échanson, celui qui sert le vin — et donc indirectement procure l’ivresse, le raptus…— est souvent l’amant de son maître. Hera la femme de Zeus ne s’y trompa d’ailleurs pas qui obtient de son époux que Ganymède soit changé en constellation. Le mythe de Ganymède est ainsi devenu comme une représentation symboliq...
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18.Athéisme Athée, j’ai parfois la tentation de la religion. Une religion, n’importe laquelle pour donner du sens à ma vie. Je résiste mais ce n’est pas facile, je m’accroche — je crois vous l’avoir déjà dit — à de petits rituels qui, d’une certaine façon, constituent comme une religion privée mais ne me confrontent qu’à l’absurde de l’existence. Je ne sais pas pourquoi je suis sur terre et me demande sans cesse à quoi ma présence est utile. A quoi elle m’est utile ? Bien sûr il y a un certain plaisir à vivre, à sentir battre mon cœur, mes muscles fonctionner, ma tête agiter un bouillonnement d’idées mais cette vie que j’éprouve au plus profond de moi-même, ne me satisfait jamais totalement car si elle répond à la question du comment, elle ne répond jamais à celle du pourquoi. J’ai besoin d’une finalité… La prolongation de l’espèce ? Je ne suis pas sûr que ce soit une bonne réponse car la terre, qui n’a pas besoin de nous, se porterait sans doute mieux sans les prédateurs...
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19.Plaisir de la complexité Je n’ai jamais aimé les choses simples, comprendre immédiatement quelque chose me paraît toujours suspect et je suis persuadé que sous les simplicités apparentes se cachent des complexités inattendues. Cette position offre quelques inconvénients : d’une part, il m’est difficile de prendre quelque décision que ce soit parce que j’ai toujours l’impression que je ne possède jamais toutes les données du problème envisagé et ceci quel que soit ce problème ; d’autre part je passe une grande part de mon temps à réfléchir sur des situations — ou des personnes — qui ne le méritent pas. J’ai ainsi de grandes difficultés à me débarrasser des importuns car je leur fait toujours crédit d’intentions plus riches que celles qu’ils offrent au premier abord… Bref je suis incroyablement compréhensif ce qui ne manque pas de me poser bien des problèmes. Si je comprends ainsi toutes les déviations amoureuses de ceux qui m’entourent et pardonne toutes leurs trah...
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20.Lire ou relire Lire, relire ? Mon rapport à la littérature se définit dans cet entre-deux : lorsque je lis un ouvrage que je n’ai jamais lu, j’éprouve toujours une impression ambiguë. Bien sûr, comme tout le monde — du moins je le crois mais comment être sûr en cette matière ?—, il y a — ou non…— le plaisir de la découverte (suspens, plaisir de rencontrer une écriture lorsqu’il y en a une, approche d’un rapport original au monde, stimulation imaginaire…), ce que l’on désigne je crois par la découverte d’une voix originale ou, plus simplement, l’oubli un instant du moi dans la rencontre de ce que peut signifier être autre, la distraction… Lire pour ne pas mesurer le temps qui passe… Mais, du fond de cette lecture sourd, chaque fois, une insatisfaction car je sais que je ne retiendrai rien de la plupart de ce que j’aurai lu : cette lecture, ce temps passé à lire, cette rencontre intellectuelle (car même dans les plus mauvais livres, il y a toujours ...
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21.La photographie Personnellement je photographie peu, pourtant la photographie est une technique qui me séduit. J’ai horreur des photos qui ont des prétentions esthétiques, non seulement celles qui veulent « faire joli » mais également toutes celles qui cherchent à faire de la photo quelque chose comme un art plastique. Je regarde de très nombreux albums photo… mon préféré est celui de Saint-Loup car les clichés sont tout sauf des clichés : il ne s’intéresse ni à l’esthétique ni à l’anecdote mais donne à chaque fois sa vision étrange du monde. Ils sont au-delà de la fiction, en deçà de l’anecdote. Je considère en effet que la photographie, si elle peut prétendre à être une création d’ordre artistique ne doit rivaliser ni avec la peinture ni avec la réalité. Elle ne doit être ni un simple témoin (« ça a été… ») ni un embellissement artificiel de ce monde tel que l’on trouve si souvent, notamment dans la recherche de couleurs « poussées », d’un trop de...
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22.La gloire, la célébrité Je suis célèbre — du moins c’est ce que m’affirment, la mine gourmande et parfois un peu jalouse — quelques uns de mes amis revenant de tel ou tel pays du monde ou participant à telle ou telle rencontre. Bien que j’ai quelques difficultés pour appliquer ce qualificatif à moi-même, je dois reconnaître qu’il y a du vrai dans ces remarques : j’ai publié un certain nombre d’ouvrages dont certains ont eu des prix littéraires — et le succès public qui va avec —, de nombreux universitaires ont écrit sur « mon œuvre », des étudiants ont rédigé à mon sujet des mémoires de recherche et des thèses, on parle de moi dans de multiples conférences de par le monde, je suis passé plusieurs fois à la télévision, de nombreux journaux et magazines m’ont interviewé, ont parlé de moi ou de « mes travaux », j’ai été membre de divers jurys, invité par des musées, des théâtres, des universités, des festivals dans divers points de ce globe d...
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23.M’écrire Je ne peux vivre un événement sans le verbaliser en pré-écriture et cette pré-écriture me saoule jusqu’à ce que je puisse la déposer sur la papier et ainsi m’en délivrer définitivement car, ensuite, je n’y pense plus… un événement banal… J’ai besoin de ça, besoin de dire, mâcher, ânonner les situations faute de quoi j’ai l’impression de ne pas les avoir vécues. Comme les rêves nombreux qui m’assaillent chaque nuit, chaque moment de mon existence ne me semble avoir été que si je l’ai dit, si je me le suis dit. Les mots me sont des confirmations des actes comme si, avant tout, j’étais un être de parole. Par suite je peux ne vivre que dans les mots, hors du monde réel, ce que enfant j’avais poussé à son paroxysme ne vivant, au grand désespoir de ma famille et de mes enseignants, que par et dans les histoires que je me racontais sans cesse. Mon idéal de vie était végétatif : un pré, un sous-bois, une petite anfractuosité sous des rochers ou, au contraire, une plateforme roc...
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24.Les autres Que savons-nous des autres quand nous savons quelque chose d’eux ? Pas grand chose… Nous ne savons que ce que nous croyons savoir ou ce qu’ils ont bien voulu nous laisser savoir. Rêvant sur mon passé, sur tous les êtres que j’ai aperçu, croisé, ceux qui m’ont entouré, m’ont élevé, avec lesquels j’ai vécu, je suis bien obligé d’admettre que, même des plus proches, je ne connais de leur vie que des miettes et que, pour l’essentiel, ils m’ont échappé et continuent à la faire. Et, pour certains, pour ceux qui sont partis ou morts, cette perte est irrémédiable… Mais que savent les autres sur moi ? Que savait de moi ma mère, mon père, ma grand-mère, mon grand-père, mes oncles ? Tous ceux qui se sont longuement occupés de moi mais auxquels, cependant, je n’ai jamais cessé d’échapper ? Toute vie est solipsiste : même s’il pense qu’il en est autrement, chacun de nous ne vit que par (et parfois pour…) lui-même, le temps de chacun ne se partage pas et les mot...
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25.Aller à l’essentiel Toute mon adolescence, je me suis entendu dire que je ne devais pas me disperser mais « aller à l’essentiel » sans que jamais personne ne puisse me dire en quoi consistait cet « essentiel » vers lequel je devais aller. Aussi ai-je longtemps essayé de le définir par moi-même… L’essentiel, mais l’essentiel pour qui, l’essentiel pour quoi ? Après une période de vie assez longue, je ne suis pas encore certain d’avoir la réponse. L’argent, la réussite sociale, la notoriété, l’amour, le bien-être, la santé ? Toute réponse un peu affirmative me semble ne reposer que sur des lieux communs. J’ai de l’argent, pas énormément mais assez pour vivre sans inquiétude. Je crois avoir réalisé, si l’on en croit mon entourage et la presse, ce que l’on appelle généralement « une vie réussie » et je fais partie de quelques unes des personnalités qui sont sorties de l’anonymat sans être pourtant devenues des vedettes. Il arrive même que l’on me re...
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26.L’indifférence A quoi bon ? A quoi bon se lever le matin, aller me promener dans mon parc, répondre au téléphone, aller boire un café à mon bistro habituel, lire le journal, écrire ?… Je ne sais pas, je ne sais plus, j’éprouve devant tous les micro-événements de l’existence une lassitude de plus en plus grande comme si, les ayant tous vécus des centaines de fois, je ne pouvais plus trouver en eux aucune satisfaction réelle. Je deviens indifférent au monde. Je ne le vis plus, le subis, chaque jour qui commence est un jour qui passe, un jour déjà passé avant même d’avoir commencé et je n’attends plus rien du lendemain. Je me force. Un reste de volonté fait que je me force et si le matin je me lave, me rase encore, c’est plus par la force de l’habitude, par la mécanique des habitudes, que j’accomplis ces actes que par envie d’être beau, propre, élégant, séduisant, social, aimé, aimable… Il me semble que plus rien ne mérite le moindre enthousiasme pourtant la santé insolente do...
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2 7.Le renoncement Au fur et à mesure que le flot de la vie s’écoule, il me semble devenir de plus en plus épais, je nage désormais dans une eau qui a perdu sa fluidité absolue et se transforme lentement en quelque chose comme une pâte boueuse où avancer me demande de plus en plus d’efforts. Les choses et les événements, autour de moi, s’épaississent et m’échappent : je sais maintenant que je dois peu à peu me débarrasser des multiples impedimenta qui m’alourdissent, peu à peu renoncer à saisir tout ce qui autour de moi se présente pour me centrer sur l’indispensable, l’essentiel. Mais voilà que je ne sais pas bien distinguer cet essentiel de l’accessoire. Faudrait-il, dans un geste de sagesse absolue, renoncer à tout pour assurer le plus longtemps possible la continuité de la nage ? J’ai déjà renoncé au tabac, presque complètement à l’alcool, accepté de moins regarder les jeunes femmes, d’espacer les repas gastronomiques, de limiter ma présence aux fêtes auxquelles on continu...
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28.La sagesse À une certaine époque, je m’irritais d’événements, de paroles, de choses qui me font sourire aujourd’hui. Peut-être — certainement en partie — parce que les coups multiples que l’on ne peut pas ne pas recevoir au cours d’une existence m’ont endurci le cuir ou parce qu’une chose irritante ne l’est que dans sa nouveauté et que, rencontrée dix fois, cent fois, sa capacité à provoquer des réactions s’émousse ou encore, plus simplement, parce que depuis que je me suis retiré, à l’écart de ce qui est considéré comme le monde, dans mon petit manoir de basse Bretagne je ne rencontre directement que peu d’événements et que la distance physique par rapport à ceux qui me sont rapportés joue, en quelque sorte, un rôle de tampon. J’ai eu, un temps, une activité politique réelle, j’ai même cru pouvoir infléchir les directions, non du monde (mais l’on sait qu’en ce domaine tout est relié) mais de mon pays. Ma proximité avec le Général Proust (ma très grande proximité avec sa femme) ...
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29.L’oubli Combien ai-je laissé de connaissances sur ma route, combien d’amis avec lesquels j’ai pourtant vécu des moments forts de joie, d’échange, de partage dans la complexité active de bonheurs complices ? Combien d’enfants ai-je connu à des âges divers, avec lesquels j’ai joué, parlé, plaisanté, auxquels j’ai appris des jeux, raconté des histoires… puis que je n’ai plus jamais vu grandir, dont je ne porte plus en moi qu’une image périmée me rendant impossible toute éventuelle reconnaissance lors d’une rencontre fortuite et qui, eux non plus, ne se souviennent plus de moi, ni des moments vécus ensemble ? Combien de patients ai-je soigné, parfois fréquenté longuement lorsqu’ils étaient frappés de maladies durables et dont je ne conserve plus dans mon cerveau la moindre trace ? Combien d’amis, d’amies, de flirts, d’amantes dont je ne conserve que des images floues, des impressions fausses, souvent réinventées et dont le timbre de la voix ne dit plus rien à mon oreille...