26.L’indifférence
A quoi bon ? A quoi bon se lever le matin, aller me promener dans mon parc, répondre au téléphone, aller boire un café à mon bistro habituel, lire le journal, écrire ?… Je ne sais pas, je ne sais plus, j’éprouve devant tous les micro-événements de l’existence une lassitude de plus en plus grande comme si, les ayant tous vécus des centaines de fois, je ne pouvais plus trouver en eux aucune satisfaction réelle. Je deviens indifférent au monde. Je ne le vis plus, le subis, chaque jour qui commence est un jour qui passe, un jour déjà passé avant même d’avoir commencé et je n’attends plus rien du lendemain. Je me force. Un reste de volonté fait que je me force et si le matin je me lave, me rase encore, c’est plus par la force de l’habitude, par la mécanique des habitudes, que j’accomplis ces actes que par envie d’être beau, propre, élégant, séduisant, social, aimé, aimable…
Il me semble que plus rien ne mérite le moindre enthousiasme pourtant la santé insolente dont je bénéficie, la préséance de mon corps qui insiste, fait que si j’ai eu quelquefois l’idée du suicide, je sais, je sens au plus profond de mes cellules qu’il est hors de question que je cède à cette tentation, mon corps entier répugne à l’idée de la mort et s’enracine dans la vie avec la force d’un chêne. Vivre donc mais de quoi ? Pour m’épuiser, ne plus penser à rien, je marche ainsi sans but des heures dans les forêts qui environnent mon domaine ou monte à cheval sans autre besoin que celui de me sentir vivre. Est-ce mon métier de médecin qui m’a montré la vacuité de toute lutte, la stupidité de la marche vers la réussite qu’un virus anodin abat en quelques jours, l’intelligence trahie par une veinule, la force physique que détruit en quelques instants la piqûre d’un insecte minuscule ? Je ne vis que parce que je ne peux pas faire autrement sans réussir à me donner pour cela d’autres raisons tant toutes celles que j’envisage me semblent dérisoires.
Et ce journal ? A quoi bon ?
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