20.Lire ou relire
Lire, relire ? Mon rapport à la littérature se définit dans cet entre-deux : lorsque je lis un ouvrage que je n’ai jamais lu, j’éprouve toujours une impression ambiguë. Bien sûr, comme tout le monde — du moins je le crois mais comment être sûr en cette matière ?—, il y a — ou non…— le plaisir de la découverte (suspens, plaisir de rencontrer une écriture lorsqu’il y en a une, approche d’un rapport original au monde, stimulation imaginaire…), ce que l’on désigne je crois par la découverte d’une voix originale ou, plus simplement, l’oubli un instant du moi dans la rencontre de ce que peut signifier être autre, la distraction… Lire pour ne pas mesurer le temps qui passe…
Mais, du fond de cette lecture sourd, chaque fois, une insatisfaction car je sais que je ne retiendrai rien de la plupart de ce que j’aurai lu : cette lecture, ce temps passé à lire, cette rencontre intellectuelle (car même dans les plus mauvais livres, il y a toujours un moment, un passage, qui me retient suffisamment pour que, m’arrêtant dans l’avancée de la lecture, je reste un temps comme suspendu à un prolongement imaginaire qui se traduit le plus souvent, lorsque je dispose d’un crayon ou d’un stylo, d’un trait tracé sous le passage ou, plus souvent, d’une annotation dans la marge), tout cela, bon ou mauvais, tout cela qui, à ce moment-là (car je sais bien par expérience que ce que j’ai souligné tel jour me paraîtra tel autre sans importance) lève un écho en moi ; tout cela, dans la grande majorité des cas, disparaîtra de ma mémoire.
Je ne peux m’empêcher alors de me dire que ces temps sont morts, que tout ce temps passé à lire aura été jeté comme un déchet quelconque, broyé par la grande broyeuse du temps, que j’aurais mieux fait de faire autre chose. J’éprouve ainsi souvent la tentation de la relecture : vérifier si, en effet, tout cela est perdu ou si, de façon inconsciente, se sont en moi gravées des traces. Je prends un livre de ma bibliothèque, commence à le lire… Le plus souvent je n’y reconnais rien : je ne l’ai jamais lu. Et n’était l’évidence des annotations, des diverses formes de marques que, Petit Poucet, j’ai jeté çà et là, je jurerais faire une première lecture.
Rares, infiniment rares, sont les ouvrages qui, dès les premières lignes me semblent familiers. Rares, infiniment, mes annotations qui me paraissent pertinentes : tout ce temps s’est perdu. Accro au livre, je me promets alors d’arrêter de lire. Sans succès jusqu’alors…
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