12.Les livres



Ce matin — mais pour quelle raison ?…— je regardais ma bibliothèque… Plusieurs centaines de livres de toutes sortes : une bonne moitié de romans, un bon tiers de poésie et le reste… essais, ouvrages techniques sur des sujets variés de la philosophie à l’informatique en passant par les sciences occultes… Quel fatras !… Et dire que j’ai lu tout ça. J’ai lu tous ces ouvrages, certains même plusieurs fois et, pour la plupart, je n’en ai plus aucun souvenir au point que si je prends en main au hasard l’un ou l’autre, je ne sais plus la plupart du temps, si je l’ai déjà lu. Heureusement j’ai la manie des notes, seul repère fiable : tous mes ouvrages sont annotés, de la façon la plus variée. Je ne fais pas comme Oriane qui tient à jour un certain nombre de carnets dans lesquels elle copie les passages qu’elle trouve remarquable et les annote suivant un classement que je n’ai jamais bien compris et qui lui est particulier. Non, je ne fais pas ça… J’écris sur les livres mêmes comme si je ne pouvais supporter ce pouvoir qu’ils ont sur moi et que j’avais besoin de me les approprier, en faire ma chose. En inscrivant mes remarques — et beaucoup quelques années après deviennent ésotériques —, je me place, en quelque sorte, à la hauteur de leurs écrivains… Mais au fond cette prise en main n’est qu’une échappatoire dérisoire qui ne change rien à la triste réalité des choses : j’ai passé une part importante de ma vie à lire des livres dont je ne conserve plus rien…
Je sais, vous allez me parler de culture, d’imprégnation inconsciente, de richesse intellectuelle… Peut-être ? Peut-être pas ? Vous allez me dire que mon métier de médecin, par l’obligation où il me met de rester au niveau des choses, au ras du réel, exigeait une forme de compensation et que, certainement, l’imaginaire littéraire me permettait de résister à la trivialité quotidienne de la maladie et de ses souffrances. A vrai dire je n’en sais rien… je n’en suis même pas si sûr… N’aurait-il pas été tout aussi important de me promener dans les bois, cultiver mon jardin, être amateur de roses ou de passereaux, faire de l’ébénisterie, construire des maquettes ferroviaires ou découvrir la variété des corps féminins ?
La vie présente tant de possibles et de bifurcations, un choix s’impose ou s’installe pour des raisons difficiles à cerner, souvent indépendantes de notre volonté : les livres sont venus les premiers…
Mais le bilan est triste. Un de mes amis poète, bien plus grand lecteur que moi encore, a calculé que dans toute sa vie il n’avait pu lire qu’une petite trentaine de milliers d’ouvrages (ce qui lui fait tout de même une moyenne stupéfiante de 1,3 livre par jour) or il en est imprimé des millions.
Tout lecteur est un lecteur médiocre. On lit ce que l’époque permet qu’on lise. On ne lit que ce qu’on peut lire et, jamais, ce ne sera assez. La lecture est une source permanente d’insatisfaction. Conserver des ouvrages — à moins que cela constitue une nécessité professionnelle comme, pour moi, le Vidal, est une forme d’arrogance. Installant mes livres, je montre à mon entourage le niveau de culture auquel je prétends. Un livre n’existe pourtant que dans le temps de ma lecture : je vais jeter la plupart de mes livres.

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