7.La mort



« La mort arrive pour rien, environnée de silence, comme une tacite, ultime, combinaison de penser » rappelle Carlo Emilio Gadda dans La cognizione del dolore. Je lisais ce matin cette phrase qui m’a plongée dans une profonde mélancolie : « la mort arrive pour rien » et je n’ai pu m’empêcher de penser à tous ceux, qui autour de moi, ont disparu dans ce silence : parents, amis, connaissances dont l’absence crée peu à peu autour de moi une zone de vide où je me sens lentement comme enkysté. Le journal est plein de bruits et de fureur : les hommes s’entretuent avec de plus en plus d’ardeur et d’efficacité technologique — il est vrai aussi que des foules d’exécutant et de simples couteaux obtiennent des résultats moins « propres » mais tout aussi remarquables — comme si, en la donnant eux-mêmes en masse, les hommes voulaient occulter cette réalité de la mort : la donnant eux-mêmes, il leur semble avoir pouvoir sur elle… Et pourtant, ignorant l’urgence, elle attend son heure.
La littérature est peut-être une résistance, une autre façon de retarder — de nier peut-être — cette réalité. C’est pour cela qu’elle représente un domaine trop important pour être laissée aux amateurs. J’ai quelques scrupules. J’écrit. Écrivant je lutte à ma façon contre ce silence absolu de la mort qui peu à peu m’encercle, mais je n’ai aucune légitimité à le faire… Écrire me maintient en vie. C’est un des rôles des journaux intimes. Écrire pour tout le monde, visée de la littérature, a une autre ambition : affirmer la pérennité de la pensée humaine, plus exactement du pouvoir de création de la pensée humaine. Parce qu’on ne peut y parvenir aussi facilement, à l’inverse de Hodges ou de Balpe, je ne crois pas avoir la capacité d’y parvenir : faut-il pour autant, acceptant ainsi l’inéluctable, accepter de me taire ?

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