27.Le renoncement



Au fur et à mesure que le flot de la vie s’écoule, il me semble devenir de plus en plus épais, je nage désormais dans une eau qui a perdu sa fluidité absolue et se transforme lentement en quelque chose comme une pâte boueuse où avancer me demande de plus en plus d’efforts. Les choses et les événements, autour de moi, s’épaississent et m’échappent : je sais maintenant que je dois peu à peu me débarrasser des multiples impedimenta qui m’alourdissent, peu à peu renoncer à saisir tout ce qui autour de moi se présente pour me centrer sur l’indispensable, l’essentiel. Mais voilà que je ne sais pas bien distinguer cet essentiel de l’accessoire. Faudrait-il, dans un geste de sagesse absolue, renoncer à tout pour assurer le plus longtemps possible la continuité de la nage ?
J’ai déjà renoncé au tabac, presque complètement à l’alcool, accepté de moins regarder les jeunes femmes, d’espacer les repas gastronomiques, de limiter ma présence aux fêtes auxquelles on continue à m’inviter, de ne plus vouloir conduire de voitures de luxe, d’être moins attentif à l’élégance de mes vêtements, de ne plus mettre ma vie en jeu dans des expériences limites, de ne plus rester éveillé des nuits entières… Peu à peu je m’approche de quelque chose comme une ascèse où le corps se centre sur lui-même, son rythme, sa respiration, son être… où l’esprit cherche à trouver le maximum de satisfaction en lui-même. Tortue, escargot, Bernard-L’hermite, c’est peu à peu dans ma coquille que je m’enferme faisant le gros dos pour laisser couler le flot vital qui malgré tout m’entraîne.
Faudra-t-il, bientôt, pour vivre, pour continuer à éprouver le désir de la vie dans toute sa plénitude, sa force, sa luminosité, sa couleur, en ressentir la pâte, la texture, je m’isole de toute autre chose et, comme un moine bouddhiste, m’installe au pied d’un arbre et méditer sur tout ce que j’aurais, à l’essentiel, abandonné ?

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