3.Souvenir, mémoire, archives, contrôle
J’ouvre le journal du jour : deux articles inquiétants.
Le premier m’apprend que deux millions sept cent mille caméras surveillent les britanniques en permanence et qu’un projet, baptisé Spectrum — l’ambiguïté de ce terme en français est révélatrice — surveille tous les déplacements de toutes les voitures analysés à partir de leurs plaques d’immatriculation. N’est-ce pas merveilleux !
Le second est un projet du Ministère français de l’emploi (nous sommes bien dans la même époque et les mêmes fantasmes) permettant d’utiliser tous les fichiers disponibles — et surtout de les croiser }— pour contrôler les chômeurs tricheurs dont on sait, par ailleurs qu’ils sont une infime minorité.
Nous avons tous, aujourd’hui, un clone virtuel qui se construit de l’enregistrement de la multitude des traces que, en ce monde totalitaire du numérique, nous laissons sans cesse autour de nous.
Je parlais hier — ou avant hier, la mémoire proche est aussi pauvre que la lointaine — des rares photographies retrouvées qui attestaient de mon enfance ou de ma famille avant mon enfance et je constate que pour les générations d’aujourd’hui, cette nécessaire reconstruction de l’oubli ne sera certainement plus possible tant notre civilisation — ce terme n’est pas nécessairement à connotation positive — garde partout des traces de notre passage. J’ai ainsi retrouvé, sur les archives du Ministère de la guerre, désormais mises en ligne, les fiches de trois de mes ancêtres morts à la guerre de 14-18 et découvert à cette occasion, avec surprise, que les descendants des frères de ces morts avaient tous hérités, sans exception, de leurs prénoms. Ce fait m’avait été caché. Pudeur, superstition ou bien oubli ? Allez savoir !… Les familles ont des stratégies de survie qui échappent aux individus qui les composent.
Que sortira-t-il de tout ça ? Les souvenirs des générations futures se constitueront-ils au prix d’un réel manque de liberté des générations actuelles ? Bien que j’avoue préférer les défaillances de ma mémoire, il m’arrive cependant de consulter Internet pour trouver des traces. Ainsi, voulant savoir comment était la cathédrale de Quimper dans mon enfance pour confronter sa réalité à mes souvenirs, je n’ai eu qu’à demander les images correspondantes dans Google pour en obtenir 283 et vérifier que mes souvenirs étaient peu fiables.
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