22.La gloire, la célébrité



Je suis célèbre — du moins c’est ce que m’affirment, la mine gourmande et parfois un peu jalouse — quelques uns de mes amis revenant de tel ou tel pays du monde ou participant à telle ou telle rencontre. Bien que j’ai quelques difficultés pour appliquer ce qualificatif à moi-même, je dois reconnaître qu’il y a du vrai dans ces remarques : j’ai publié un certain nombre d’ouvrages dont certains ont eu des prix littéraires — et le succès public qui va avec —, de nombreux universitaires ont écrit sur « mon œuvre », des étudiants ont rédigé à mon sujet des mémoires de recherche et des thèses, on parle de moi dans de multiples conférences de par le monde, je suis passé plusieurs fois à la télévision, de nombreux journaux et magazines m’ont interviewé, ont parlé de moi ou de « mes travaux », j’ai été membre de divers jurys, invité par des musées, des théâtres, des universités, des festivals dans divers points de ce globe dont j’ai fait plusieurs fois le tour, des dizaines de milliers de pages parlent de moi sur Internet sans compter celles-ci ou je le fais moi-même… je suis dans le Who’s who, des essais me citent, des écrivains font référence à mon travail, me prennent comme personnages de leurs écrits ou parlent de moi de façons diverses. Bref j’occupe sur le territoire de la médiatisation une petite parcelle.
J’aurais pu être beaucoup plus célèbre encore, comme le disait un ami écrivain connu sur le ton de l’incompréhension : « il aurait pu être le pape dans son domaine… ». En effet, j’aurais pu, si je l’avais voulu, être intégré à la vie mondaine dont diverses coteries m’ont souvent invité, faire partie des cercles politiques pour lesquels j’ai travaillé un temps, être dans divers comités de rédaction, être franc maçon comme on me l’a proposé, diriger une institution ou une autre… atteindre cette dimension de la vraie célébrité qui fait que tout journaliste pour quelque sujet que ce soit, pense immédiatement à vous. Je ne l’ai jamais désiré.
Tout cela est en effet toujours resté en-deçà de mon désir et si, pour des raisons financières, parce qu’il fallait bien donner à ma famille un confort minimal, j’ai de temps en temps cédé aux chants de l’une ou l’autre de ces sirènes, jamais je n’ai trouvé en moi l’appétit, la force, de faire ce que j’étais conscient qu’il fallait faire pour passer au cran au-dessus. Il y a en moi un double qui voit toujours le côté dérisoire des choses et m’interdit d’aller plus loin. Je suis un être solitaire qui se débat comme il le peut dans sa question existentielle : manger une feijoado dans une rue populaire grouillante de Rio de Janeiro où je ne dois pas être pas observé mais observateur, où je peux me laisser aller aux mille petits plaisirs de la vie — le soleil dans le dos au printemps, les sonorités d’une langue étrangère, les odeurs inconnues, les saveurs nouvelles, l’infini des visages… Au-delà de ça, peu de choses comptent qui vaudraient que je perde une seconde du présent de ma vie.

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