28.La sagesse



À une certaine époque, je m’irritais d’événements, de paroles, de choses qui me font sourire aujourd’hui. Peut-être — certainement en partie — parce que les coups multiples que l’on ne peut pas ne pas recevoir au cours d’une existence m’ont endurci le cuir ou parce qu’une chose irritante ne l’est que dans sa nouveauté et que, rencontrée dix fois, cent fois, sa capacité à provoquer des réactions s’émousse ou encore, plus simplement, parce que depuis que je me suis retiré, à l’écart de ce qui est considéré comme le monde, dans mon petit manoir de basse Bretagne je ne rencontre directement que peu d’événements et que la distance physique par rapport à ceux qui me sont rapportés joue, en quelque sorte, un rôle de tampon.
J’ai eu, un temps, une activité politique réelle, j’ai même cru pouvoir infléchir les directions, non du monde (mais l’on sait qu’en ce domaine tout est relié) mais de mon pays. Ma proximité avec le Général Proust (ma très grande proximité avec sa femme) en portent un public témoignage mais l’échec que l’on sait m’a rejeté dans ma province où il me semble désormais avoir complètement changé non seulement de mode de vie, ce qui est somme toute assez fréquent, mais avoir changé la définition même de ce qu’est la vie. Je vis ici reclus volontaire ne m’intéressant plus qu’à mon potager, aux plantations de mon potager, à la santé de mes quelques vaches, plus proche de la nature que ce que je n’aurais jamais imaginé qu’on puisse l’être. Un bouton de rose qui éclot, un nid de rouge-gorge découvert (et protégé) dans un taillis, la découverte (ou redécouverte) d’un bon vieux livre, voilà ce qui pour moi, désormais, relève de l’événementiel, et si, au cours d’une promenade dans mes bois je trouve une carcasse de frigidaire abandonnée d’un bord de route par un concitoyen indélicat, cette découverte ne m’irrite plus comme elle l’aurait fait il y a quelques années. En ce temps-là, j’aurais convoqué la gendarmerie ; aujourd’hui, sachant que le temps qui nous fait et nous défait encore plus vite, saura faire son œuvre, je me contente de changer de routes : j’ai encore bien des sentiers disponibles du calme desquels je veux jouir sans perdre quelques secondes de mon existence sur des objets qui n’en valent plus la peine.

Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog