16.La photographie
Bien qu’assez mauvais photographe, je suis passionné par la photographie et j’ai très souvent l’envie d’en faire alors que je n’ai pas d’appareil photo. Heureusement, depuis quelques temps les téléphones portables — j’ai toujours le mien sur moi — permettent de compenser cette difficulté. Malheureusement, les photos qu’ils permettent sont de très mauvaise qualité. Mais, après tout !…
Ce désir de photographie provient de celui de la saisie impulsive du monde. Je me promène, je ne pense à rien de particulier et soudain, pour une raison qui m’échappe totalement, un fragment de réel me paraît soit d’une beauté stupéfiante, soit si intrigant qu’il me serait indispensable de le figer. Lutter contre le temps et les carences de la mémoire : ce lieu précis, en ce moment précis, demande à être conservé et, plus jamais ne sera reproductible. Ce matin, je me promenais ainsi dans les rues de mon petit village et, soudain, un moment de grâce incroyable, un accord de couleur inattendu : une maison au crépi rose au pied d’un viaduc gris à peine cachée par le rose, à la fois identique et différent, d’un cerisier du Japon de la variété Amanogawa : les deux roses, loin de se nuire, se magnifiaient l’un l’autre comme si l’arbre et la maison dialoguaient avec leurs couleurs. Peu de soleil, une lumière douce, parfaite pour ces couleurs fragiles. Je n’ai pu m’empêcher de trouver un meilleur angle, mais non, cette harmonie ne se produisait que d’un seul point et se détruisait aussitôt que je me déplaçais d’un mètre. Il y avait d’autres arbres mais les fleurs d’aucun d’entre eux ne conversaient de la même façon avec le mur de la maison : leur ros était plus éteint, plus violent, moins dense, plus épars… Seul l’arbre que j’avais vu en premier, du seul point de vue où j’avais été ébloui, produisait cet effet. Une telle circonstance n’est pas reproductible. Je reviendrai demain mais la lumière aura changé, les fleurs auront vieilli ou se seront épanouies, quelques volets de la maison seront fermés… L’équilibre subtil des couleurs ne se reproduira plus jamais.
C’est là, pour moi, l’intérêt de la photographie, capter l’imperceptible, l’improbable, le non reproductible, mais il faudrait toujours avoir avec soi les instruments nécessaires, mais il faudrait aussi, la plupart du temps, réagir très vite car il m’arrive aussi, de perdre d’autres instants aussi riches simplement parce que, le temps de prendre mon appareil numérique, la grâce s’est évanouie. Une question de lumière le plus souvent car la photographie n’est que lumière, mais aussi de vie : choses et gens bougent sans cesse ne laissant à l’œil aucun répis.
C’est pour cela que je suis particulièrement intéressé par la série des photos de Balpe qu’il intitule La Grande Prairie : prendre chaque jour, ou presque, d’un même lieu, sous un angle le plus identique possible (il devrait pour cela utiliser un pied et des marques…) avec le même appareil et les mêmes réglages, une photo d’un lieu anodin. Si chaque photo en soi n’est pas extraordinaire, la série, elle, est passionnante qui montre que tout, sans cesse, change et nous confronte ainsi à la richesse extraordinaire de la vie.
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