17.Ganymède


En même temps que les poèmes de Balpe que je ne connaissais pas je viens de découvrir sa série des Cent un poèmes du poète aveugle entièrement illustré par des représentations, de toutes époques, du mythe de Ganymède. On sait que Ganymède est ce prince-berger, fils du roi de Troie Laomédon dont Jupiter (Zeus si vous préférez) tomba amoureux lorsqu’il le vit garder son troupeau dans la campagne. Comme Zeus (dieu suprême) ne met jamais de frein à ses désirs impérieux, il prit la forme d’un aigle et l’emporta dans les cieux pour en faire son échanson. Bien entendu, comme dans une grande part de la mythologie orientale (les ghazals ouzbeks sont clairs sur ce point) l’échanson, celui qui sert le vin — et donc indirectement procure l’ivresse, le raptus…— est souvent l’amant de son maître. Hera la femme de Zeus ne s’y trompa d’ailleurs pas qui obtient de son époux que Ganymède soit changé en constellation.
Le mythe de Ganymède est ainsi devenu comme une représentation symbolique de la pédérastie. C’est ainsi d’ailleurs que Rembrandt l’interprète avec son Ganymède presque enfant hurlant de peur dans les serres de l’aigle., interprétation tout à fait opposée à celle de nombreux autres peintres dans les tableaux desquels Ganymède est consentant, parfois même ravi de cet enlèvement. Je crois que cette vision des choses est un peu courte car elle ne peut rendre compte ni de la persistance du mythe, ni de son importance pour les classiques et les romantiques.
La grande variété des représentations porte en effet d’une part sur l’âge de l’otage qui va de l’adolescent à peine sorti de l’enfance à la maturité presque adulte. Elle porte aussi sur l’aspect plus ou moins féroce de l’aigle. Ces deux variantes permettent une grande diversité de la symbolique. Lorsque l’on examine objectivement les dizaines de représentation — mais Balpe n’en utilise que cent une — ce qui fait toute la force du mythe c’est la relation force sauvage et esthétique aboutie. D’une part, l’aigle — symbole même de la puissance naturelle irrésistible et impitoyable— est charmé par la beauté fragile, élégante, que la culture a patiemment construite ; d’autre part cette beauté — qui est, j’insiste, un produit, non une origine — ne redoute pas (sauf chez Rembrandt) cette violence parce qu’elle sait qu’en fait c’est elle qui domine. C’est toute la relation nature-culture qui est ainsi présentée comme une relation de séduction, davantage même une effusion, chacun s’abandonnant totalement à l’autre.
Balpe a raison d’utiliser ce mythe comme un symbole de la poésie : le pouvoir d’une esthétique élaborée sur la brutalité du réel. Je pense en effet que la poésie est la langue qui n’a pas peur des mots, de leur manque de rationalité, de leur violence, de leur banalité mais qui sait se laisser enlever pour s’épanouir pleinement dans une totale relation d’abandon amoureux.

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