8.Les mots
Les mots me touchent, les mots m’importent, les mots me nourrissent… Mais comment se fait-il que les mots me touchent et que cependant j’ai avec eux de telles difficultés ? Je ne sais comment penser sans mots… mais je ne sais pas plus comment penser avec eux. Chacun d’entre eux, avec sa sphère d’influence, m’entraîne en effet dans son domaine propre et déplace ce que je sens d’original et de moi propre dans ma pensée. Quand une idée, se propose à moi… quelque chose d’indéfinissable comme un « sentiment d’idée », cette impression ténue et pourtant obsédante que je pense quelque chose d’encore impensé, que je suis « au bord » de quelque chose qui devrait m’entraîner dans une région de l’esprit, de la mémoire, de l’invention où je ne suis jamais allé, des mots se proposent. Dès lors qu’ils se proposent, la pensée est prise, sans retour, les mots l’orientent dans des directions desquelles il ne m’est plus possible de dévier. Il me semble alors que je retombe, parfois m’embourbe, dans la banalité, le déjà dit, le déjà pensé. Comme une fatalité. Je n’ai pas les mots pour penser ce que je sens devoir penser et les mots qui s’imposent, des mots de tout le monde, châtrent ce qu’il y a d’original dans mon sentiment de pensée. Comme tant de mauvais philosophes — parfois même de moins mauvais — je me suis prêté à l’exercice à la fois difficile et réducteur d’inventer mes mots propres — poésie lettriste, zaoum… glossolalie — mais cela ne m’a laissé que sur une impression d’insatisfaction car cette invention de mots s’arrête à l’aspect ponctuel du vocabulaire or c’est une langue qu’il faudrait inventer, mais une langue qui fonctionne… Je ne connais pas la solution.
Comment se fait-il donc que les mots nous touchent, eux qui nous enferment dans cette ornière des vues communes et briment ce besoin en nous d’aller vers d’autres territoires ? Et pourtant, ils nous touchent.
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