23.M’écrire



Je ne peux vivre un événement sans le verbaliser en pré-écriture et cette pré-écriture me saoule jusqu’à ce que je puisse la déposer sur la papier et ainsi m’en délivrer définitivement car, ensuite, je n’y pense plus… un événement banal… J’ai besoin de ça, besoin de dire, mâcher, ânonner les situations faute de quoi j’ai l’impression de ne pas les avoir vécues. Comme les rêves nombreux qui m’assaillent chaque nuit, chaque moment de mon existence ne me semble avoir été que si je l’ai dit, si je me le suis dit. Les mots me sont des confirmations des actes comme si, avant tout, j’étais un être de parole. Par suite je peux ne vivre que dans les mots, hors du monde réel, ce que enfant j’avais poussé à son paroxysme ne vivant, au grand désespoir de ma famille et de mes enseignants, que par et dans les histoires que je me racontais sans cesse. Mon idéal de vie était végétatif : un pré, un sous-bois, une petite anfractuosité sous des rochers ou, au contraire, une plateforme rocheuse… un lit où je m’allongeais cherchant à ne voir que des paysages neutres — ciel uniforme, feuillage, paroi rocheuse, plafond…— pour m’absorber entièrement dans la contemplation de la vie virtuelle que les mots me créaient.
Une conséquence de cela est que la frontière entre le réel et l’imaginaire est, très rapidement, devenue des plus floues. Je suis souvent incapable de dire si tel événement qui me semble un souvenir n’est pas une de mes inventions fictionnelles et je suis souvent surpris par la réaction de familiers auxquels je raconte tel ou tel événement comme faisant partie de notre passé et qui, me regardant avec des yeux surpris et écarquillés, me disent : « il n’en a jamais été ainsi… ». Je ne sais plus alors que faire, me contentant le plus souvent d’une retraite piteuse, style « tu es sûr ! » alors que je devrais aller plus loin et essayer de forcer mon entourage à comprendre pourquoi le fait que je rapporte a, pour moi, plus de réalité que ceux que pourrait relever un biographe scrupuleux.
Les mots parlent sans cesse dans ma tête. Ils y ont leur vie propre, s’accouplent, forment des théories, des phrases, des familles : les mots m’habitent au point que, parfois, je me demande s’ils ne m’aliènent pas… Mais, si c’est le cas, cette aliénation m’est bien agréable.

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