53.La musique



J’aime la musique, toutes les musiques et ne peux rien faire ou imaginer sans elle. Par cycles, impulsions incontrôlées, humeurs, j’écoute de la musique, m’immerge en elle. Un jour je m’éveille avec un désir incontrôlable de Mozart, un autre jour de Varese, de Berio, de Walter von der Vogelweide ou de Francisco Guerrero. Plus souvent j’ouvre une radio : France musique ou Radio classique et me laisse aller à leurs propositions qui, de temps à autre, me procurent le plaisir immense d’une découverte. Ainsi de Guillaume Costeley ou de Enriquez de Valderrabano dont j’ignorais jusqu’au nom. Je veux alors tout savoir de cette découverte, non sur le plan encyclopédique car peu m’importe que son livre de viole ait été publié à Valladolid en 1547 ni qu’il ait travaillé pour Francisco de Zúñiga duc de Béjar, ce qui m’importe c’est d’entendre la musique qu’il a composée, de chercher, par tous les moyens, les disques, les vidéos qui la contiennent. Je suis souvent déçu, jamais découragé… La quête, le plaisir de quelques découvertes me comblent suffisamment. N’allez pas croire que le fait que ma mère ait été professeur de musique m’a, à jamais enfermé dans la musique classique, il n’en est rien car je peux prendre autant de plaisir à découvrir les chansons de Georgel que celles d’Alfred Koechlin ou les innombrables rockabillies qui ont accompagnés ma découverte des plaisirs du sexe. La musique m’est aussi nécessaire que l’air que je respire, qu’il soit celui iodé, humide, salé des côtes de l’île de Sein ou celui sec, brûlant de froid, du sommet du Weisshorn. Je ne respire que la musique, y trouve tout mon plaisir : pas plus que la respiration, la musique n’exige aucune glose. Comme Dieu selon la théologie, elle est divine présence, en deçà et au-delà de tout commentaire. Aussi, dès que quelqu’un m’en parle, je fuis sa conversation.
Je n’ignore pas que mon écoute obstinée de la musique est un enfermement dans une bulle intemporelle que renforce encore mon obsession des chansons anciennes de mon enfance. Je vis, dans la solitude, une solitude construite, affirmée et même si parfois celle-ci me pèse, c’est une solitude que j’ai toute ma vie, patiemment, édifiée. Pourtant je ne hais pas mes semblables, je n’ai envers eux aucune rancœur, je ne me sens pas supérieur à eux. Plus simplement ils m’indiffèrent et les fréquenter m’obligerait à supporter trop de contraintes depuis les insoutenables incessants bavardages jusqu’aux constant besoins d’effusion hypocrite. Je me mets à l’écart. À l’écart dans la musique qui constitue tout mon écosystème et dans lequel, si cela se pouvait, j’accepterais de rencontrer mon semblable, peu importe le sexe, quelqu’un — plusieurs ? — qui, comme moi, vivrait de musique, ne chercherait pas à en écrire, ne chercherait pas à l’exploiter ni pour gagner de l’argent ni, pire encore, pour étaler sa culture, ne désirerait pas gaspiller ses heures pour essayer d’en jouer, quelqu’un pour qui elle serait indispensable comme le sang qui coule dans nos veines. Alors oui, alors, je pourrais sortir de ma solitude.

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