31.De la parole



Je peux parler du brie, du taleggio, du maroilles, du gorgonzola, du country cheese  ou de l’époisses avec assez de connaissances et de convictions pour que mon interlocuteur croie que le sujet m’intéresse. Je peux aussi parler de Venise, de littérature, de religion ou d’économie… Je crois que je peux arriver à parler à peu près de n’importe quoi et quand un thème me dépasse, je peux faire semblant d’écouter avec assez de conviction pour que celui qui m’entretient juge que je suis un convive agréable. Pourtant je hais ces conversations de salon où, pour établir ou maintenir le contact, il est de norme de participer faute d’apparaître comme associable. Je sais faire. lorsque c’est nécessaire (utile à une cause qui me paraît supérieure), je sais paraître comme un membre charmant, intelligent, peut-être même vif, si ce n’est parfois un petit peu ironique de la communauté… Mais le fond de ma nature n’est pas celui-là car je ne me plais et ne me supporte que dans la solitude, dans le commerce de moi à moi… J’ai tant fréquenté les salons, les cocktails, les soirées dites « mondaines » parce que l’on y rencontre du monde et, sous entendu d’importance, du « beau monde » que je m’en suis empli jusqu’à l’écœurement ; j’en connais toutes les règles, les non-dits, les sous-entendus, les nécessités pour chacun d’exister dans son apparence sociale, cette surface de miroir que chacun brandit pour être dans les yeux de l’autre, la vacuité de ces conversations, leur aspect mécanique, automatique, ritualisée où il s’agit de ne jamais émettre une opinion qui pourrait apparaître si originale qu’elle risquerait d’ébranler le fragile consensus du groupe. Surtout ne pas froisser. Se taire si c’est nécessaire, s’éloigner au besoin mais ne jamais risquer de heurter qui que ce soit en lui faisant remarquer que ce qu’il dit est stupide inepte, imbécile ou, pour le moins relève de la plus triviale des banalités.
Il faut que l’enjeu soit vraiment d’importance pour que, parfois, de plus en plus rarement, je me brime au point d’accepter de jouer ce jeu. Que m’importe en effet le contact avec les autres, pourquoi faudrait-il que j’éprouve le besoin de rester en société si c’est au prix du reniement, de la lâcheté intellectuelle, au moins de l’ennui le plus profond alors que, dans la solitude d’un bois, assis au bord d’un lac, écoutant de la musique chez moi ou dans ma voiture, j’éprouve des plaisirs immenses à me nourrir de sensations toujours neuves et toujours inouïes. Il n’est plus temps pour moi de perdre ainsi le temps qui me reste à vivre.

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